jeudi 12 mai 2016

Printemps 2016.

Mercredi 27 avril 2016,  depuis quelques jours les craintes ne cessaient de croître comme quand au loin gronde l'orage et que l'on sent dans ses tripes de paysan que quelque chose de mauvais est en marche, que l'issue ne fait guère de doute.
Au point du jour, les vignes et les toits des maisons sont blancs d'une mince couche de givre que le soleil levant lèche et fait fondre. Le pire des scénarios est en cours, les vignes n'aiment pas ce phénomène de la nature, cette énième facétie, ce jeu cruel sur la Bourgogne en plein réveil.

Hélas  il faut déjà se faire à l'idée que la journée ne sera pas joyeuse, inutile de presser le pas, si dégâts il y a, ils ne seront visibles qu'en milieu de journée, voire en fin d'après midi après que le soleil aura fini de sécher les bourgeons cuits, ratatinés et teintés de gris et de noir, calcinés !


Chemin faisant on rencontre les voisins, les collègues, les amis et on prend le temps de se parler, de partager nos désillusions, notre peine qui est grande, nos inquiétudes.
A la fin de la journée, le bilan est lourd, la nature n'y est pas allée de main morte et une fois de plus elle met en péril des familles déjà fragilisées par les années de grêle et de printemps capricieux.

La vigne a piètre allure, toute grillée, privée de ses tendres pousses comme autant d'enfants mort-nés, elle semble avoir fait un retour en hiver. Dans les Hautes Côtes de Beaune, sur ce merveilleux terroir des Champs Perdrix, Il ne reste plus un seul bourgeon vivant. Même ceux cachés à l'ombre du cep ou d'un piquet  sont  pétrifiés, déshydratés, morts.
Le gel a frappé là où on ne l'avait que rarement ou même jamais vu. Les bas de coteaux et les creux, logiquement exposés au gel de printemps s'en sortent plutôt bien. Les hauts de coteaux  et les coteaux eux-mêmes, habituellement peu exposés au gel, sont parfois dévastés à cent pour cent.
Plus généralement il n'y a presque pas eu de quartier, vignes enherbées ou labourées ont subi le même sort.
Ultime injustice,  ici et là quelques vignes désherbées chimiquement, jamais labourées semblent avoir moins souffert  et offrent  avec insolence à nos regards incrédules leurs rangs teintés de vert.

Mais déjà la plante mère se rebelle, les plaies de taille cicatrisées s'ouvrent à nouveau et laissent échapper la sève comme des larmes coulant de nos propres yeux. Comme par solidarité, cette plante qui nous nourrit qui  nous accompagne au long des jours de toute notre vie de vigneron, cette plante merveilleuse de résistance, de générosité et de résilience, nous montre le chemin à poursuivre. Se tenir debout, marcher encore même en boitant des deux pieds, en espérant que dès demain viendront  des jours meilleurs.

Devant un verre de vin, seul, je me remémore les propos des anciens, de mes ancêtres paysans, les histoires innombrables des grands-pères répétant à l'envi les récoltes perdues, les larmes des grands-mères  et les histoires de leurs propres aïeux, de tant et tant de travail anéanti en quelques instants.
De tout temps les paysans ont subi les assauts de la nature autant qu'ils en ont vécu. De tout temps les catastrophes et les pertes de récolte ont durci leurs vies.
Puis les histoires plus joyeuses de lendemains qui chantent, les millésimes abondants suivant les années de gel !

Nous allons poursuivre, à l'image de nos vignes, à l'image de nos ceps tordus par le temps et les assauts des sécateurs mais qui ne demandent qu'une chose: que l'on s'occupe d'eux quoi qu'il arrive et que l'on fasse du vin et du bon. Il nous faut tenir… tenir bon !

dimanche 8 décembre 2013

Le bâton ou le poireau.


Voilà, ça devait arriver. La première affaire engendrée par la crise de la Flavescence Dorée en Bourgogne.
Je vous passerai les détails techniques concernant cette maladie qui a fait son apparition en Bourgogne il y a plusieurs années déjà et qui a véritablement posé des problèmes en Mâconnais en 2012. Vous trouverez les informations nécessaires dans l'excellente publication de Jacques Berthomeau. 

L'affaire, indiquée dans le lien ci-dessus, c'est la convocation d'un vigneron de Bourgogne qui a refusé de traiter ses vignes avec un insecticide pour diminuer les populations de cicadelles vecteur de la maladie, comme les arrêtés préfectoraux nous y obligeaient cette année.
Nous devions tous traiter trois fois en Saône et Loire et une fois en Côte d'Or.

Je connais Emmanuel Giboulot depuis très longtemps, c'est lui qui m'a guidé comme bien d'autres vignerons sur les chemins de l'agriculture biologique et biodynamique il y a vingt ans.
Au sein du Groupement des Jeunes Professionnels de la Vigne, nous avons, grâce à lui et à d'autres, suivi des formations, participé à des séminaires, assisté à des conférences pour comprendre ce qu'étaient nos pratiques culturales d'alors et leurs conséquences désastreuses pour l'avenir de nos vignes, de nos terroirs voire de la planète. Avec lui nous avons réfléchi puis avancé pas à pas vers une viticulture plus propre, respectueuse de l'environnement et des hommes.
Emmanuel, qui est aussi agriculteur céréalier, nous a alors fait prendre conscience du retard que nous avions, en terme de gestion des épandages de produits phytosanitaires, sur nos collègues agriculteurs (je rappelle au passage que les traitements sont quasi incontournables même en viticulture biologique).
D'abord nous avons réduit les doses que nous préconisaient les marchands de l'industrie phytopharmaceutique. Pour ce faire nous avons étudié puis essayé des techniques nouvelles de pulvérisation puis redécouvert les pratiques de labours des sols. L'abandon des désherbants chimiques nous a montré très vite, en quelques années, combien un rééquilibrage de la flore des vignes avait des conséquences formidables sur les écosystèmes et sur l'équilibre de la faune. Les populations d'acariens phytophages (parasites des la vigne), que nous avions essayé de détruire depuis les années soixante, ont alors régressé suite au développement naturel de leur prédateur (Typhlodromus piri), un acarien lui-même devenu notre auxiliaire sanitaire au vignoble.
Ce seul exemple et il en existe d'autres, nous montre combien d'erreurs avaient commis nos pères, aspirés par les simplifications de leurs tâches, floués par les marchands de facilité, de bonheur immédiat et d'horreur pour plus tard !

Puis Emmanuel et moi avons siégé quelques années à la commission technique du BIVB*, c'est à cette époque également que fut créé par lui et d'autres vignerons le GEST (Groupement d'Etude et de Suivi des Terroirs), association de vignerons bourguignons désireux d'avancer sur la connaissance des terroirs, de leur évolution en fonction des pratiques culturales et notamment des travaux du sol.
Le moins que l'on puisse dire aujourd'hui, c'est que certains de nos collègues siégeant à l'interprofession et plus encore les ingénieurs de la place sortis du moule "INRA"* avaient tendance à nous prendre pour des illuminés ou de gentils trublions. Vingt ans plus tard nous constatons que nos idées de l'époque sont reprises par ceux-là même qui les mettaient en doute. Nous nous en félicitons, mais que de temps perdu. Aujourd'hui rares sont les vignerons qui désherbent encore chimiquement leurs vignes et qui traitent sans se soucier de la pertinence de leurs actions. Le vignoble de Bourgogne a repris des couleurs, la qualité des vins a progressé celle de l'eau mettra plus de temps.

Enfin, Emmanuel et moi étant tous deux nés à Beaune de familles installées dans la plaine éponyme, nous avons ferraillé pour essayer de conserver l'appellation Bourgogne dans une zone qui certes n'était pas des plus renommées ni des plus adaptées à la production de crus bourguignons mais qui avait à coup sûr la capacité à produire des vins très agréables et qui, pour peu que l'on ait accepté d'adapter des modèles de production moins coûteux que le classique 10 000 pieds par hectare, aurait pu fournir aux amateurs de cépages bourguignons des vins d'un excellent rapport qualité-prix.
Ces techniques sont aujourd'hui à l'ordre du jour, mais le vignoble de la plaine de Beaune s'est réduit comme peau de chagrin. Le train est passé et nous avons migré vers la Côte.
Je laisse au lecteur le soin d'imaginer pourquoi le soutien de nos pairs ne fut qu'un léger souffle d'apparente politesse.
Le jour où notre dossier, solide et argumenté, soutenu par les experts de l'institut, arriva devant le comité National de l'INAO, le président de l'INAO Bourgogne, représentant  de notre belle région, nous fit l'honneur de son absence, ayant omis d'informer ses collègues bourguignons du dossier à défendre ! Circulez, y'a rien à voir.

Toutes ces précisions pour vous dire que cet homme, aujourd'hui en passe de se retrouver sur le banc des accusés n'est pas un perdreau de l'année, ni un écervelé, ni un égoïste.

Il s'est développé sur le web un certain nombre de signes de soutien, ce qui prouve que l'affaire sensibilise l'opinion et que la démarche d'Emmanuel, ne plongeant pas dans l'indifférence, n'est pas sans fondement. Une page Face Book a été créée avec des interventions nombreuses souvent teintées d'ignorance sur le sujet et de conneries qui ne servent pas la cause. Comme toujours me direz-vous, les mêmes conneries étant d'ailleurs assez abondantes dans les médias en général. Confusions, approximations, affirmations définitives et fausses etc. 

Emmanuel Giboulot  n'est pas, j'en témoigne, un de ces extrémistes peint en vert  que je ne sais quel dogme guide aveuglément. Il n'est pas un illuminé, il est un homme de convictions durement apprises et non de certitudes gratuites.

Cet homme est un paysan éclairé, altruiste, craignant que l'agriculture du vingtième siècle nous conduise à notre perte.

Cet homme s'est fait pincer pour une seule raison: son honnêteté absolue, totale !

Il aurait sans aucun doute pu utiliser un des nombreux subterfuges que génère immanquablement toute réglementation pour éviter ce traitement ni vu ni connu.

Lui n'a pas triché, lui c'est un homme debout fidèle à ses engagements, fier de ce qu'il a toujours fait pour produire des vins authentiques et de qualité, lui c'est un homme digne, digne de son rang et de son métier de paysan.
Dans son rapport remis récemment au Président de la République, Philippe Bélaval, président du Centre des Monuments nationaux dit que le grand homme républicain est : " celui qui, face à une nécessité écrasante, n'a jamais baissé les bras et a su dire non, sans accepter la fatalité".
Un jour révolutionnaire ou plus simplement progressiste bon pour la potence et demain héros enfin reconnu, réhabilité et décoré à titre posthume.
Dans quelques années, quand aura tourné le vent de la panique, que les peurs seront apaisées, que l'expérience aura prouvé une nouvelle fois que les canons à insecticides n'ont pas l'efficacité de l'intelligence collective, que la solidarité est plus forte que la fracture, on devra lui accrocher le Poireau au revers tant son mérite aura été grand et agricole !


Alors Messieurs les censeurs, Monsieur le procureur, si bientôt vous poursuivez Emmanuel Giboulot, s'il est par un tribunal condamné, c'est à un honnête homme que vous donnerez du bâton.

Est-ce cela la justice ?

Dans ce cas, elle ne saurait être exemplaire.





*BIVB: Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne.

  INRA: Institut National de la Recherche Agronomique.

mardi 12 novembre 2013


Saint Martin – Saint Tourmentin.
 


Il faisait frisquet ce matin au monument aux morts où nous étions de moins en moins nombreux à écouter l’édile ânonner le discours du Secrétaire d’Etat aux anciens combattants.

Plus d’anciens combattants de la grande guerre depuis longtemps, quelques anciens ayant connu la dernière et peut-être la résistance et quelques anciens de la guerre d’Algérie qui a toujours du mal à dire son nom.
Enfin ce matin il y avait quand même un regain d’intérêt pour certains, les municipales approchent…

Mais il faisait beau, très beau même, l’été de la Saint Martin !

Les pigeons blottis au soleil sur le clocher nous ont proposé un ballet aérien dans l'azur éclatant, motivés qu’ils furent par les « boum boum » de la grosse caisse de  la fanfare. Ils quittèrent leur perchoir le temps des marches militaires, pour y revenir au moment du vin d'honneur une fois les tambours posés.
Vraiment une belle journée et pourtant la Saint Martin, au nom volé dans le calendrier par l’armistice, c’est aussi la saint Tourmentin comme disait mon père.

 Aujourd’hui moins qu’hier certes, mais c’est toujours le temps du paiement des fermages et des tourments. C’est l’heure de régler les comptes et de faire le bilan de campagne, non guerrière, mais viticole.
Autrefois à la Saint Martin, on payait tout ce qui était dû depuis une année, les fermages, les travaux du maréchal ferrant, du charretier et j’en passe.

Aujourd’hui, ne reste "que" les fermages à payer au 11 novembre pour les vignerons dont je suis et qui ne sont pas propriétaires. Et après deux années de récoltes misérables ce sera bien la Saint Tourmentin. Il y aura certes quelques propriétaires aimables et qui ne sont pas dans le besoin pour faire un effort sur les délais de paiement, sur le montant même, c'est très rare mais ça existe !

Quoi qu'il en soit il faudra trouver l'argent pour payer.

Deux années de misère disais-je, avec un printemps frais et humide, un été qui ne peut plus rien faire pour rattraper ce qui est perdu et puis enfin,  un automne humide comme l'aiment les champignons.
Le mois de mai ne nous a pas donné les raisins que nous espérions, ils étaient petits. Même si nous nous y attendions puisqu'ils étaient nés dans les bourgeons au printemps 2012 qui ne fût pas beau ni chaud, le froid excessif de juin les a de plus fait filer* en grand nombre. Enfin la pluie vint s'ajouter au froid au moment de la fleur et la pollinisation se faisant mal, la coulure** vint encore entamer le potentiel de récolte.

Au vu de ce printemps 2013, il y a de très fortes chances pour que les raisins de 2014 cachés au cœur des bourgeons formés en juin dernier ne soient pas non plus très gros ni très nombreux.

J'ai souvenir aujourd'hui d'un éditorial fort maladroit dans Bourgogne Aujourd'hui, pointant du doigt le peu de volonté des vignerons de Bourgogne à ébourgeonner sévèrement au printemps 2013. Qu'aurions-nous récolté si nous avions bêtement agit de la sorte ?
La taille, l'ébourgeonnage, nous connaissons, c'est le cœur de notre métier, il me serait agréable de ne pas recevoir de leçon des journalistes quand je ne leur donne pas de leçon de rhétorique  ni d'écriture.

 Parenthèse fermée, l'été ne fût pas particulièrement clément, nous apportant son lot d'orages dévastateurs, mitraillant de grêle les vignes faiblement garnies de fruits.une journée d'été...
 
Septembre dans ses premiers jours, nous apporta quelques réconforts et sauva probablement un millésime bien mal engagé.
C'est souvent comme cela lorsque printemps et été font défaut, septembre joue les Saint Barnabé.

Puis revint la pluie et quelles qu'aient été les dates retenues par les vignerons, les vendanges ne furent pas une vraie partie de plaisir.
Chacun en conscience ayant fait son choix de vendanger tôt ou d'attendre. Chacun ayant choisi selon les connaissances qu'il a de son vignoble, de son travail, avec ce savoir faire qui lui est propre.

Au final la catastrophe fût évitée une fois encore, l'intelligence et le travail ayant lutté de concert contre les hostilités venues d'on ne sait où.

Dieu soit loué comme le poulet, nous aurons de quoi répondre en partie au marché !
-Peu de vin, mais plutôt de qualité en attendant mieux -
Après les trente  glorieuses passées nous sommes sans doute dans un cycle moins favorable à la spirale formidablement qualitative que nous avons jusqu'ici vécue.


 
Ce soir, la bise souffle encore plus tranchante que ce matin et moins que demain à moins qu'elle ne tienne pas. Le feu crépite dans le poêle à bois, la nature s’engourdi. En fin de semaine la vente des Hospices de Beaune attirera les feux des médias, foules et verres réchaufferont les cœurs, puis le Beaujolais nouveau annoncera l’hiver  prochain et nous irons aux vignes tailler à nouveau chaque pied en espérant, comme nous l’avions fait l’an dernier, que la nature se montrera plus généreuse en 2014.

 
Demigny, le 11 novembre 2013.

 
* Filer se dit des raisins qui au lieu de se former en inflorescence se transforment en vrille.

**Coulure = mauvaise fécondation des fleurs de vigne qui donnent des grains de petite taille (millerandage) ou qui tombent au sol dès la fin de la floraison.

jeudi 24 octobre 2013

Chansonnette aux hygiénistes, moralistes et autres pisse-vinaigre de notre douce France.



La marche des ampaafés .

 
Ils tirent toutes les alarmes
Ils veulent nous rendre heureux
Ils prétendent que les charmes
Du vin sont dangereux

Qu’est-ce qui les fait marcher
Les ampa-a, les ampaafés
Qu’est-ce qui les fait marcher
C’est la moralité

S’ils remplacent le vin d’messe
Par de l’eau distillée
On leur bott’ra les fesses
Pour le salut des curés

Qu’est-ce qui les fait marcher
Les ampa-a, les ampaafés
Qu’est-ce qui les fait marcher
C’est la crédulité

S’ils désertent les comptoirs
Pour nous éviter c’est
Qu’ils traversent l’histoir’
Tous au pas cadencé

Qu’est-ce qui les fait marcher
Les ampa-a, les ampaafés
Qu’est-ce qui les fait marcher
C’est la sécurité

Ce sont de pauvres mecs
Et nous aurons leur peau
Sauf s’ils nous tuent avec
L’argent de nos impôts

Qu’est-ce qui les fait marcher
Les ampa-a, les ampaafés
Qu’est-ce qui les fait marcher
C’est la cupidité

Mais à l’heure dernière
Tous ces crétins fieffés
On les mettra en bière
Ils seront mortifiés

Ils pourront plus marcher
Les ampa-a, les ampaafés
Ils pourront plus marcher
Ils seront mortifiés

mercredi 24 juillet 2013

Lettre ouverte au patron de la RVF.


Monsieur Saverot,


Il est revenu à mes oreilles par radio-bout-de-vigne (c’est ainsi que nous appelons chez nous la fréquence « potins des vignobles ») que vous aviez publié les termes de mon courroux occasionné par votre dossier sur la Côte Chalonnaise ( RVF n° 570, avril 2013) dans votre dernier numéro (570 spécial millésime 2012).

Si je n’ai pas réagi plus tôt, c’est que je fus accaparé par quelques tâches au vignoble dont la nature parfois généreuse ne nous laisse pas toujours le libre arbitre, veuillez m’en excuser. 

Toutefois, permettez que je m’étonne que vous eussiez choisi la rubrique courrier des lecteurs pour publier  de manière partielle ma missive électronique.

Si je fus agréablement surpris que vous prîtes le temps de m’appeler personnellement au téléphone après réception de la susdite, vous me voyez bien désagréablement surpris de cette publication et de la réponse que vous portez perfidement à la connaissances de vos nombreux lecteurs passionnés qui comptent parmi eux de nombreux professionnels souvent perplexes mais néanmoins assidus ! (70 000 viticulteurs, plus les négociants, les œnologues, le courtiers, et autre professionnels cavistes, restaurateurs, etc…, ça laisse peu de place  aux amateurs dont vous prétendez qu'ils sont 45 000 à vous lire et qui soit dit en passant, s’ils sont par vous dupés, seront comme il va de soit les derniers à l’apprendre). 
Et puis puisque vous voulez jouer à celui qui pisse le plus loin, même si j'ai toujours trouvé ce jeu ridicule, je produis en moyenne 45 000 bouteilles par an et sauf à penser que chacune d'elles est bue par une seule personne, j'ai beaucoup plus de succès que vous et d'ailleurs sans vous et de plus dans une quinzaine de pays.

Et puisque vous avez choisi de me répondre sur votre terrain privilégié, je vous renvoie aujourd'hui la balle depuis le mien qui ne compte pas d'abonné mais quelques lecteurs que je salue et remercie au passage.

Votre démarche sous-entend que je sois moi-même lecteur de la RVF, ce qui ne m’arrive qu’à l’occasion d’un rendez-vous chez mon coiffeur et d’aucuns vous diront que j’ai couramment le poil hirsute et ne fréquente guère ce vénérable artisan !

De plus, lors de notre longue conversation téléphonique qui amputa mon précieux temps de presqu’une heure, nous étions convenus au final que nos opinions demeuraient divergentes, mais que l’échange avait été courtois. J'avais cru bon de vous préciser que je ne cherchais pas par mon courriel à créer une quelconque polémique stérile comme il en existe beaucoup ces temps-ci et particulièrement sur les réseaux sociaux. Non, je m’adressais simplement au patron de la revue pour lui signaler ce que je considère comme une aberration : à savoir qu’un dégustateur qui par ailleurs vend différents produits à des vignerons qu’il évalue me semblait relever d’un conflit d’intérêts que la morale, sinon la loi, réprouve.

Il me semblait de fait évident que notre échange devait rester discret et qu’il n’était pas nécessaire      – pour vous comme pour moi - d’en faire état !

Or vous avez choisi de porter ce débat sur la place publique, sans mon consentement et comble de muflerie, sans m’en informer.

Pour compléter votre publication, permettez que je porte à la connaissance du lecteur l’intégralité de mon propos :

Cher Monsieur,
Je viens de prendre connaissance de votre dossier spécial côte chalonnaise dans votre dernier numéro de la revue du vin de France, la lecture a suscité chez moi quelques interrogations.

Je me suis donc rapproché du BIVB afin de connaitre le déroulement des dégustations qui nourrissent ce genre de dossier.

Quelle ne fût pas ma surprise de m’entendre expliquer que le dégustateur agissait seul, sans la présence d’un professionnel vigneron ou d’un représentant des ODG concernées, voire d’un huissier.

Quel ne fût pas mon étonnement de me voir confirmer que les notes attribuées par votre dégustateur étaient ajustées en fonction des niveaux des appellations ? Comme vous l’avez par ailleurs vous-même justifié dans la RVF, cela suppose que tout est possible, y compris de renvoyer la balle aux annonceurs qui comme par hasard sont toujours bien notés !

Quel ne fût pas mon courroux de m’entendre confirmer que votre dégustateur, dont je ne remets pas en cause les compétences, est par ailleurs un commerçant ayant des relations mercantiles avec les vignerons dont il déguste les vins.

Ceci corrobore amplement le fait que ses clients et ses copains soient bien notés et que ceux ayant eu avec lui quelques problèmes relationnels soient absents de la sélection.

Je n’avais pas une grande confiance dans votre journal que je connais depuis trente ans et que j’ai vu évoluer. Aujourd’hui, au vu des conflits d’intérêts que révèle le fonctionnement des dégustations et de la publication des résultats, j’ai à l’égard de votre travail une sensation de nausée irrépressible.

Il me semble qu’il serait temps de réagir et de recadrer tout cela avant que vous ne perdiez le peu de crédibilité qu’il vous reste aux yeux des acteurs de la filière viticole, car pour avoir largement évoqué cette affaire avec des collègues de toutes régions et des prescripteurs de tous ordres, je puis vous dire que mes sensations sont largement partagées, ce que je regrette sincèrement pour les consommateurs, amateurs de vins de notre pays et lecteurs bernés par la revue, surtout s’agissant des novices !

Dans l’attente de recevoir vos impressions sur ces consternantes  pratiques,

 Veuillez agréer cher Monsieur, l’expression de mes sincères salutations
                                                          

Ceci précisé, il apparaît que vous avez bien évité de publier l’essentiel de mon propos et qui concerne le conflit d’intérêts.

Votre titre lui-même un peu grandiloquent  évoquant en caractère gras «  la théorie du complot » prête à sourire. Comparer notre petite escarbouille à des affaires internationales !! ho là là, Monsieur Savrot, vous me flattez !

Evoquer une police,  un anonymat… enfin nous ne sommes plus sous Vichy Monsieur le Procureur !

Vous en appelez à l’histoire et aux personnalités qui collaborent ou ont collaboré à la RVF en citant des professionnels émérites et reconnus de tous, que vous qualifiez de réputés et d’intègres… je ne les conteste pas ces personnages historiques du « mondovino », mais Mr Baroin…tout de même, veuillez ne pas mélanger torchons et serviettes !

Un camelot de campagne, qui gonfle son égo en bavouillant quelques propos iniques sur notre travail… c’est remarquable, comme dirait le « taulier » on se gondole grave dans les contours de vignes en se narrant ces derniers jets de plume ;

Jugez plutôt à propos d’un Rully : « fraîcheur complète et salivante qui rappelle un Puligny »

 Quel talent ! Quel à propos pour celui qui se prétend défenseur du terroir !

Ainsi les terroirs de la Côte Chalonnaise n’auraient de valeur et d’intérêt que dès lors qu’ils seraient semblables à leurs voisins-stars des côtes de Beaune ou de Nuits… affligeant !

 Remarquez qu’écrire des pages entières de commentaires sur des vins que personne ne lit sauf les producteurs eux mêmes, ça relève de l’exploit ! En tout cas je n’ai jamais trouvé rien de plus emmerdant à lire, à part peut-être un discours du maire de ma commune.

Ce cher Guillaume, qui s’apitoie sur son sort en prétendant regoûter les vins qui ne lui ont pas plu au premier abord pour ne pas léser les producteurs, peu lui importe de massacrer des cuvées entières en vendant des bouchons foireux et qui détruisent une année entière de travail puis de n’assumer aucune des conséquences désastreuses de ces méfaits ! 

En revanche il lui importe de bien noter quelques vignerons très sollicités pour pouvoir ensuite vendre leurs vins en se targuant d’être parmi leurs allocataires privilégiés ! 

Monsieur Saverot, outre que la publication de votre réponse partielle à mon courrier amputé est malhonnête, vos arguments sont affligeants de maladresse et de fausseté. 

Vous pensiez à votre profit détourner mon propos mais vous vous êtes vautré dans votre colère et votre condescendance.

Rassurez-vous, je ne suis qu’un petit vigneron-trublion, mais votre réaction même, par sa violence et ses à-peu-près, prouve que j’ai mis le doigt là où ça fait mal à votre mauvaise foi !

Et si j’en juge par les remarques et coups de fils que j’ai reçus depuis votre publication, mon avis est assez largement partagé ; Il est même des vignerons qui m’ont qualifié de courageux, d’autres plus triviaux de « couillu » !!! y aurait-il quelques risques à dire ce que l’on pense, ce que l’on croit être la vérité ? Auriez-vous quelque pouvoir de nuisance à l’égard du vigneron que je suis ? Quel est le réel pouvoir de cette ancienne institution de Revue sur le vin, vieillissante et que vous êtes en train de fusiller ?

Serai-je à jamais banni de vos colonnes ?

Recevez cette confidence, la seule fois où j’eu les honneurs de votre revue, ce fût grâce au parrainage de mon mentor dont je ne citerai pas le nom pour ne pas lui faire de mauvaise publicité mais qui est un célèbre vigneron de Meursault et mon néanmoins ami.

Soyez en tout cas certain que je n’ai pas contre la presse en général et du vin en particulier, quelque grief que ce soit. Le plus beau compliment que l’on me fit en 20 ans de carrière, vint de votre auguste confrère : « Bourgogne Aujourd’hui » qui écrivit à mon endroit : « Jean Yves Devevey produit depuis plusieurs années des vins qui font honneur à la Bourgogne »

Voyez Monsieur Saverot, de cela et donc de mon travail je suis très fier. Rien ne peut m’honorer plus que d’être digne de  LA BOURGOGNE, même si je ris souvent des imbéciles heureux qui sont nés quelque part car je pratique assez couramment l’autodérision.

Je ne vous souhaite qu’une seule chose Monsieur Saverot : d’être vous-même fier de votre travail…





Une journée d’été presque comme les autres.


Mardi 23 juillet 2013, levé tôt après une courte nuit. Météo France annonçait des orages possiblement violents localement. La veille j’avais terminé le rognage des vignes de la Chaume à Rully un peu avant vingt deux heures, il faisait presque nuit. C’est important de ne pas laisser sous la pluie, les jeunes pousses plus sensibles que les autres au mildiou déjà présent ici et là sur les plus vieilles feuilles après le printemps pourri que nous avons connu.

 Tasse de thé vert avalée en vitesse et préparation du pulvérisateur. Vers huit heures, départ pour Rully et la côte Chalonnaise à nouveau, après que la rosée du matin fût tombée. Les vignes sont belles, quelques taches de mildiou ça et là, il va falloir être vigilant jusqu’en septembre, les vendanges s’annoncent tardives. Elles n’ont pas produit beaucoup en 2012 suite à la grêle de 2011 mais cette année, même si le froid du printemps a éclairci les raisins il y a une récolte moyenne si ça tient jusqu’au bout.

Retour dans « l’entrecôte » vers dix heures trente. J’aurais dû alors enchaîner les autres parcelles mais quelques imprévus m’attardèrent au bureau et à la cave. Tant pis je terminerai en début d’après-midi même si un traitement en pleine chaleur n’est pas idéal, on ne maîtrise pas tout.

Repas rapide et vers treize heure, départ pour l’autre côte... celle de Beaune. Traitement à Volnay sans problème, les vignes sont belles, les raisins assez petits et clairs mais en nombre suffisant pour une belle récolte. Après les deux orages de grêle de 2012 et une récolte record (quatre pièces dans un peu moins d’un hectare), on vendangera tard mais si ça va jusqu’au bout et que septembre est beau, ça ira.

 Passage à Beaune, cette vigne des Pertuisots 1er crus, c’est mon bonheur de vigneron, elle est toujours belle et en santé, le sol se cultive bien il est équilibré après quatorze années de travail, d’attention, de soins en tous genre. La partie du bas, la plus vieille, sélection massale, est magnifique. Beau feuillage, raisins bien formés et réguliers, un peu de millerandage mais pas trop, tout ce que l’on attend de sa vigne. La partie du haut, clones sur SO4 est un peu moins vigoureuse mais se porte bien.
La terre est superbe de souplesse et de richesse après des années de labours d’enfouissement de l’herbe pour la structurer et la nourrir.
Malgré la grêle en 2012, la récolte avait été convenable  6 pièces pour un peu plus d’un demi hectare, d’habitude elle en produit huit voire neuf, c’est une très belle vigne, lorsque j’aurai mon cheval, j’essaierai de la cultiver avec lui. Pour cette année si ça va jusqu’au bout ce sera une belle récolte, mais on ne la tient pas encore.

14h 30 départ de Beaune direction Nantoux, ici aussi les vignes sont belles bien que très peu chargées en raisins suite à la grêle dévastatrice de l’année dernière. Là aussi les records avaient été battus, 7 pièces de vins dans trois hectares de vigne !
Mais cette année c’est beau et il ne faut pas traîner car les cumulus montent au nord sur la vallée de l’Ouche et il faut traiter avant la pluie. Quelques rafales de vent de Nord-Est secouent les arbres et les haies alentours, rien de plus.

 15 h 45, je termine sous les roulements non pas du tambour mais du tonnerre. Je charge le tracteur sous deux ou trois gouttes, le nuage noir qui tourne depuis une heure est planté vers Savigny, vers Beaune, de l’autre côté des collines. Par précaution je mets le sac de bouillie de cuivre –sac en papier- dans la cabine du Land Rover.

Je redescends vers le village, face à moi la montagne de Volnay s’est embuée de nuées grises et blanches. A l’est le gros nuage crève et déverse son contenu sinistre sur Beaune. Devant la mairie quelques coups secs et violents me surprennent. Deux ou trois gros grêlons s’éclatent littéralement sur le bitume brûlant.

A la carrière de Nantoux, il pleut de grosses gouttes, en arrivant vers Pommard c’est l’enfer, des grêlons, entre billes et balles ping-pong s’éclatent sur tout ce qu’ils trouvent, frappent, hachent, massacrent. Je m’arrête sous un noyer pour ménager la tôle du Land Rover et attend en espérant que Beaune et Volnay tout proches soient épargnés. Des noix cueillies par les glaçons viennent rouler sur le capot du Land. Dans mon dos, le ciel de Nantoux reste clair.

Au bout de dix minutes de coups incessants - une éternité - la boue a envahi la route mais les grêlons sont plus petits et moins nombreux, je repars.

A ma gauche le talus des Harvelets a glissé sur la route, au-dessus les vignes sont hachées et battues par le vent et la pluie. Plus loin au pied du mur de la Commaraine un amas de grêlons de quarante centimètres de large et  d’une dizaine d’épaisseur tient au frais les herbes hachées.
Je pense à Benjamin et au Clos des Epeneaux un peu plus loin qui n’a pas pu être épargné.

Je descends vers l’ancienne gare de Pommard, les voitures sont à l’arrêt, la route est un torrent  de boue qui descend du coteau par tous les chemins, le chemin de la combe de Lulunne ressemble à un affluant boueux  de la départementale, je sens rouler les cailloux sous les pneus du Land qui avance imperturbable, traînant sa remorque chargée de l’emjambeur qui n’aura pas besoin de passer par l’aire de lavage.

Les grêlons continuent à frapper tantôt plus clairsemés, tantôt plus serrés mais toujours avec une violence douloureuse aux oreilles. Je perds l'espoir que les Pertuisots aient été épargnés.
A la pointe des Tuvilains, l’eau boueuse  semble transporter toute la terre du coteau, le chemin des vignes Franches est une rivière en furie.

                                                                          
Le Clos Landry est en guenilles, j’arrive aux Pertuisots, pas de quartier, c’est la désolation.

Demi-tour, direction Volnay avec l’espoir que la grêle n’aura pas dépassé Pommard.
Je croise David. Sous l’averse, vitre des voitures entre-baissées : c’est massacré lui dis-je.
Mines déconfites : à plus tard.

Entre Pommard et Volnay les torrents de boue affluent de partout, la route qui descend vers la 74 est une rivière en crue, les bouches d’égouts crachent des gerbes d’eau marron à un mètre de hauteur, le vent souffle en bourrasques cinglantes, la pluie semble tomber presqu’à l’horizontale, la buée a envahi les vitres du Land, j’aperçois la vigne de la Gigotte, suffisamment pour penser que là aussi la récolte est en partie faite.
Je pense aux copains dont le vignoble se répartit de Volnay à Savigny ou sur l’une ou l’autre de ces seules communes. J’aurai peut-être la chance de voir Rully et Nantoux épargnés, peut-être ( ?)

Retour à Demigny, le village est sous les eaux mais il n’y a pas eu de grêle ici, j’allais dire malheureusement, j’eu préféré perdre mon petit jardin et garder les raisins de la Côte. Je regarde tomber la pluie et le pluviomètre déborder; je cherche un réconfort au frigidaire, il fait lourd, j'ai soif ! 
                                                                               
Vers 19h00 retour dans le vignoble, après un coup de fil rassurant de Stéphane, je sais que Rully n’a pas été touché.
A Volnay le vent a anéanti le travail des employées qui avaient passé des heures au palissage, il faudra reprendre les pieds et ce qui reste de leurs branches une à une, les raisins sont presque tous touchés j’estime à 50% le volume de récolte perdue.
Un crochet par Nantoux, rassurant, il n’est tombé que quelques millimètres d’eau et pas de grêle.

En redescendant vers Pommard j’observe le balai des camionnettes des vignerons qui font l’inventaire sinistre des dégâts. Les visages sont fermés, les saluts bien las. Les regards pleins de désespoir.

Je retrouve David dans les Pertuisots, nous visitons nos vignes respectives, désolés mais fatalistes, c’est notre destin de vigneron, la nature nous contraint, qui que nous soyons quoi que nous fassions. 70 à 80% de perte selon moi, David est un peu plus optimiste.
                                                                             


Nous gardons notre humour même s’il est un peu moins gaillard et descendons au Café du Square pour un verre de réconfort. Bière ? vin ? Bière pour commencer, il faut être économe…

Dom arrive, dégaine estivale, Champagne dit-il. J’aime son humour.

Demain il faudra remettre l’ouvrage sur le métier et continuer. Météo France nous a mis en vigilance orange, si ça doit recommencer, que tombe où ça veut mais pas à Rully ni à Nantoux si ce n’est pas trop demander. Je me dis qu’au moins il y aura peut-être là une récolte, si ça va jusqu’au bout !


lundi 6 mai 2013

Pensées vigneronnes


Dos courbé, genoux fléchis, j’avançais pas à pas, les mains affairées aux tâches habituelles du printemps à la vigne, elles allaient presque malgré moi supprimer ici quelques bourgeons superflus, là quelques herbes folles, arrachant à la terre une ronce vicieusement poussée tout contre une souche ou encore, au pied d’un piquet d’acacia grisé par le temps, un jeune noyer poussé d’une noix tombée du bec d’un corbeau malhabile.  
A chaque pied elles renouvelaient leur geste précis, machinal, pendant que mon esprit libre de contraintes s’égarait parfois bien loin.
Le soleil du printemps, doux mais déjà généreux, me chauffait les muscles lombaires tendus par la posture vigneronne.

J’aime cette période l’année ou le réveil de la nature sonne le début des travaux qui conduisent à la récolte future. Là se construit le millésime, plus encore qu’à la taille qui en hiver nous pousse au dehors dans de froides journées. Au printemps, la taille dite « en vert », vient compléter celle de l’hiver. C’est ce travail qui non seulement contrôle la production de l’année mais prépare aussi le cep à la taille de l’hiver suivant. Certes les caprices de la nature ont souvent tôt fait de tout remettre en cause, mais qu’importe, l’espoir d’une belle récolte nous pousse cep après cep et nous fait faire les choix que l’excellence réclame et que la rentabilité impose.

Que d’incertitudes… mais quelle détermination néanmoins, chaque vigneron met-il alors dans ses gestes. Faisant fi des douleurs et des peines, il soigne la vigne pour que plus tard, après bien des lunes, coulent dans les verres de précieux nectars, s'insinuent entre les lèvres sèches des saveurs délicates, et que se réjouissent les esprits les plus sombres.

Laissant mes mains à leur labeur, je me pensais : quoi qu’il arrive le vigneron s’en va, courbé entre les rangs dans l’expression forcée de la modestie, muscles meurtris et mains calleuses, quand le marchand qui parfois l’habite - bien que de plus en plus souvent les deux se distinguent -  le marchand lui s’en va debout, fier et fanfaron, l’esprit hanté et l’œil avide,  chercher le chaland à qui il contera son histoire ou une histoire, c’est selon !...

Il en va des vins comme des hommes, certains nous enrichissent, d’autres nous ennuient, certains nous surprennent, d’autres ne nous importent. Quelques fois, d’aucuns nous éblouissent et nous transportent.

Je pensais à ces bouches gourmandes, à ces esprits curieux de nos vins et de ce qui les accouche. Dans ma tête se bousculaient mille visages inconnus, sourires éclatants de bonheur, étonnements sans cesse renouvelés des palais qui découvrent dans les saveurs des vins, la force de la nature, la puissance des terroirs et leur infinie richesse.
Disciples d’Epicure que le vin régale et fascine, qui veulent tout  savoir de notre monde clos.
Je pensais encore, qu’importe pour eux des vins l’origine, qu’importe qu’on les  inscrive dans une mode ou une autre, qu’ils soient natures ou pas, immatures, à maturité ou sur le déclin, si à l’instant de leur destin ils réjouissent les corps et les âmes.
Mais pourtant il arrive malheureusement que rien ne vibre et que le liquide au fond du verre ne soit que piteux breuvage pas même désaltérant. Où trouver alors le plaisir, quel intérêt ? Quelle déception ! Quelle arnaque !
Dualité du vin qui peut tant émerveiller ou tant décevoir. Il en est de modestes qui se boivent au comptoir, il en est d’exceptions qui méritent le grand soir.

Comme disait tonton Georges, « faut voir à pas confondre amour et bagatelle ».

Dans la multitude immense, quelles sont les différences ? Viennent-elles de la renommée ou de la rareté ? Comment choisir ?

Etiquette racoleuse pour nouveauté hurlant son besoin de reconnaissance, étiquette historique pour renommée acquise et parfois contestée, slogan tout en couleurs pour attirer les regards et la curiosité, sobriété tranquille couvrant les valeurs sûres des terroirs et du savoir-faire !
Se laisser guider par le graphisme ? Par la force de l’image et des mots, marketing bricolé de l’emballage pas toujours en phase avec le contenu !
Se fier à la prose du journaliste droit, laborieux et honnête, éviter de céder aux propos de  cuvette du fils de pub foireux qui se dit son confrère !
Laisser faire le hasard ou bien écouter l’autre, l’ami qui s’y connaît, le caviste érudit, l’amateur éclairé, le vigneron sincère, le vigneron roublard, comment savoir ?

A qui se fier ? Au propriétaire bourgeois à la superbe séductrice, aux mains lisses et au verbe policé, au vigneron rugueux à la franchise bourrue, à cet autre  rieur au verbe coloré ?

A chaque bouteille ouverte se faire son opinion, seul(e), en toute conscience, sans influence aucune et puis vider le verre en levant bien le coude – joyeux - ou dans le caniveau – déçu - c’est toujours prendre un risque !

J’en étais là de mes incertitudes et de mes évasions.
Mon dos me rappelant à la réalité, je me relevai pour le détendre un peu. Regardant le ciel devant moi, j’y vis un beau cumulus de printemps, gris et blanc, en perpétuel mouvement.

Furtivement j’y vis dos à dos deux têtes sans corps plantées sur un pylône, deux profils cotonneux, différents mais semblables, l'un dans la lumière et l'autre dans l'ombre, unis comme siamois.

 

  
     Cyrano et Voltaire pensai-je, à moins que ce ne fût Pinocchio et Tartuffe ?