dimanche 8 décembre 2013

Le bâton ou le poireau.


Voilà, ça devait arriver. La première affaire engendrée par la crise de la Flavescence Dorée en Bourgogne.
Je vous passerai les détails techniques concernant cette maladie qui a fait son apparition en Bourgogne il y a plusieurs années déjà et qui a véritablement posé des problèmes en Mâconnais en 2012. Vous trouverez les informations nécessaires dans l'excellente publication de Jacques Berthomeau. 

L'affaire, indiquée dans le lien ci-dessus, c'est la convocation d'un vigneron de Bourgogne qui a refusé de traiter ses vignes avec un insecticide pour diminuer les populations de cicadelles vecteur de la maladie, comme les arrêtés préfectoraux nous y obligeaient cette année.
Nous devions tous traiter trois fois en Saône et Loire et une fois en Côte d'Or.

Je connais Emmanuel Giboulot depuis très longtemps, c'est lui qui m'a guidé comme bien d'autres vignerons sur les chemins de l'agriculture biologique et biodynamique il y a vingt ans.
Au sein du Groupement des Jeunes Professionnels de la Vigne, nous avons, grâce à lui et à d'autres, suivi des formations, participé à des séminaires, assisté à des conférences pour comprendre ce qu'étaient nos pratiques culturales d'alors et leurs conséquences désastreuses pour l'avenir de nos vignes, de nos terroirs voire de la planète. Avec lui nous avons réfléchi puis avancé pas à pas vers une viticulture plus propre, respectueuse de l'environnement et des hommes.
Emmanuel, qui est aussi agriculteur céréalier, nous a alors fait prendre conscience du retard que nous avions, en terme de gestion des épandages de produits phytosanitaires, sur nos collègues agriculteurs (je rappelle au passage que les traitements sont quasi incontournables même en viticulture biologique).
D'abord nous avons réduit les doses que nous préconisaient les marchands de l'industrie phytopharmaceutique. Pour ce faire nous avons étudié puis essayé des techniques nouvelles de pulvérisation puis redécouvert les pratiques de labours des sols. L'abandon des désherbants chimiques nous a montré très vite, en quelques années, combien un rééquilibrage de la flore des vignes avait des conséquences formidables sur les écosystèmes et sur l'équilibre de la faune. Les populations d'acariens phytophages (parasites des la vigne), que nous avions essayé de détruire depuis les années soixante, ont alors régressé suite au développement naturel de leur prédateur (Typhlodromus piri), un acarien lui-même devenu notre auxiliaire sanitaire au vignoble.
Ce seul exemple et il en existe d'autres, nous montre combien d'erreurs avaient commis nos pères, aspirés par les simplifications de leurs tâches, floués par les marchands de facilité, de bonheur immédiat et d'horreur pour plus tard !

Puis Emmanuel et moi avons siégé quelques années à la commission technique du BIVB*, c'est à cette époque également que fut créé par lui et d'autres vignerons le GEST (Groupement d'Etude et de Suivi des Terroirs), association de vignerons bourguignons désireux d'avancer sur la connaissance des terroirs, de leur évolution en fonction des pratiques culturales et notamment des travaux du sol.
Le moins que l'on puisse dire aujourd'hui, c'est que certains de nos collègues siégeant à l'interprofession et plus encore les ingénieurs de la place sortis du moule "INRA"* avaient tendance à nous prendre pour des illuminés ou de gentils trublions. Vingt ans plus tard nous constatons que nos idées de l'époque sont reprises par ceux-là même qui les mettaient en doute. Nous nous en félicitons, mais que de temps perdu. Aujourd'hui rares sont les vignerons qui désherbent encore chimiquement leurs vignes et qui traitent sans se soucier de la pertinence de leurs actions. Le vignoble de Bourgogne a repris des couleurs, la qualité des vins a progressé celle de l'eau mettra plus de temps.

Enfin, Emmanuel et moi étant tous deux nés à Beaune de familles installées dans la plaine éponyme, nous avons ferraillé pour essayer de conserver l'appellation Bourgogne dans une zone qui certes n'était pas des plus renommées ni des plus adaptées à la production de crus bourguignons mais qui avait à coup sûr la capacité à produire des vins très agréables et qui, pour peu que l'on ait accepté d'adapter des modèles de production moins coûteux que le classique 10 000 pieds par hectare, aurait pu fournir aux amateurs de cépages bourguignons des vins d'un excellent rapport qualité-prix.
Ces techniques sont aujourd'hui à l'ordre du jour, mais le vignoble de la plaine de Beaune s'est réduit comme peau de chagrin. Le train est passé et nous avons migré vers la Côte.
Je laisse au lecteur le soin d'imaginer pourquoi le soutien de nos pairs ne fut qu'un léger souffle d'apparente politesse.
Le jour où notre dossier, solide et argumenté, soutenu par les experts de l'institut, arriva devant le comité National de l'INAO, le président de l'INAO Bourgogne, représentant  de notre belle région, nous fit l'honneur de son absence, ayant omis d'informer ses collègues bourguignons du dossier à défendre ! Circulez, y'a rien à voir.

Toutes ces précisions pour vous dire que cet homme, aujourd'hui en passe de se retrouver sur le banc des accusés n'est pas un perdreau de l'année, ni un écervelé, ni un égoïste.

Il s'est développé sur le web un certain nombre de signes de soutien, ce qui prouve que l'affaire sensibilise l'opinion et que la démarche d'Emmanuel, ne plongeant pas dans l'indifférence, n'est pas sans fondement. Une page Face Book a été créée avec des interventions nombreuses souvent teintées d'ignorance sur le sujet et de conneries qui ne servent pas la cause. Comme toujours me direz-vous, les mêmes conneries étant d'ailleurs assez abondantes dans les médias en général. Confusions, approximations, affirmations définitives et fausses etc. 

Emmanuel Giboulot  n'est pas, j'en témoigne, un de ces extrémistes peint en vert  que je ne sais quel dogme guide aveuglément. Il n'est pas un illuminé, il est un homme de convictions durement apprises et non de certitudes gratuites.

Cet homme est un paysan éclairé, altruiste, craignant que l'agriculture du vingtième siècle nous conduise à notre perte.

Cet homme s'est fait pincer pour une seule raison: son honnêteté absolue, totale !

Il aurait sans aucun doute pu utiliser un des nombreux subterfuges que génère immanquablement toute réglementation pour éviter ce traitement ni vu ni connu.

Lui n'a pas triché, lui c'est un homme debout fidèle à ses engagements, fier de ce qu'il a toujours fait pour produire des vins authentiques et de qualité, lui c'est un homme digne, digne de son rang et de son métier de paysan.
Dans son rapport remis récemment au Président de la République, Philippe Bélaval, président du Centre des Monuments nationaux dit que le grand homme républicain est : " celui qui, face à une nécessité écrasante, n'a jamais baissé les bras et a su dire non, sans accepter la fatalité".
Un jour révolutionnaire ou plus simplement progressiste bon pour la potence et demain héros enfin reconnu, réhabilité et décoré à titre posthume.
Dans quelques années, quand aura tourné le vent de la panique, que les peurs seront apaisées, que l'expérience aura prouvé une nouvelle fois que les canons à insecticides n'ont pas l'efficacité de l'intelligence collective, que la solidarité est plus forte que la fracture, on devra lui accrocher le Poireau au revers tant son mérite aura été grand et agricole !


Alors Messieurs les censeurs, Monsieur le procureur, si bientôt vous poursuivez Emmanuel Giboulot, s'il est par un tribunal condamné, c'est à un honnête homme que vous donnerez du bâton.

Est-ce cela la justice ?

Dans ce cas, elle ne saurait être exemplaire.





*BIVB: Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne.

  INRA: Institut National de la Recherche Agronomique.

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