dimanche 24 février 2013

Le redressement par le rouge... Productif !


Printemps 2013 à Paris, terrasse du Café de Flore, Arnaud et Maurice boivent un verre de vin rouge en discutant au doux soleil d'avril. Ils se sont donné rendez-vous là après une longue correspondance écrite et pas toujours cordiale. Il faut dire qu'ils ne se connaissaient pas.

Maurice pensait que la France était un pays de nantis, d'assistés, de fainéants passant leur temps à glander y compris au boulot. Arnaud défendait un pays qu'il chérit et des gens qu'il aime bien surtout quand ils sont d'accord avec lui. A force de se chicaner pour des broutilles, Arnaud avait invité Maurice à Paris pour s'expliquer de vive voix. Il est malin Arnaud, il avait invité  Maurice au bistrot parce qu'il avait un peu en travers une petite phrase que ce dernier avait glissée dans une lettre et qui lui avait plutôt déplu.

Maurice avait écrit: " bientôt en France plus personne ne travaillera et les gens passeront leur temps aux terrasses des cafés à boire du vin rouge".

Comme Arnaud était arrivé le premier, il avait commandé un verre de vin rouge en attendant. Un bon verre de bon vin de sa bonne Bourgogne natale où il a quelques copains vignerons. Il s'était dit on va commencer par le début modestement et il avait commandé un Hautes Côtes de Beaune Rouge 2009 signé Devevey.

Maurice arriva et les présentations faites, Arnaud lui offrit un verre de bon vin rouge de sa bonne Bourgogne natale, l'autre ne put qu'accepter et ils trinquèrent.

Ils commencèrent à s'expliquer longuement sur les sujets les plus divers et les plus compliqués qui procèdent de la marche du monde. Maintenant qu'ils étaient là, assis à la terrasse d'un beau café, symbole du prestige de la France, à boire un bon vin rouge de Bourgogne, les meilleures conditions étaient réunies pour se parler. Et ils parlèrent de tout : de la France, du fléchissement, du chômage, des gens, du pouvoir, du pas pouvoir et du pognon enfin de l’économie comme ils disent !

Ils parlèrent tellement qu'ils eurent vite atteint le fond des verres et qu'ils en recommandèrent un autre.

C'est la mienne, dit alors Maurice, on remet le même il est très bon!

Puis ils reprirent leurs échanges, les langues s'agitaient, se déliaient de plus en plus et, restant polis car ils étaient tous deux de bonne éducation, ils se laissèrent aller à leur engouement pour le verbe, débattant, se coupant la parole l’un l’autre. On sentait monter l’amitié !

Et derechef les verres furent vidés.

Bon dit Arnaud: t'en rebois une Maurice ? Bien sûr ! répondit l'autre.

On ne va pas continuer comme ça à boire au verre répliqua Arnaud, on va prendre une bouteille ça coûtera moins cher. Qu'est-ce que tu penses d'un bon Rully 2010 de chez Jean Yves Devevey ? Je le connais, il fait bon !

Pour le vin je te fais confiance répondit Maurice.

La bouteille arriva, ils l'entamèrent joyeusement et reprirent leurs échanges.

Dis-donc ! s'exclama Arnaud, on mangerait bien un morceau sinon on va être bourrés et on dira n'importe quoi.

T'as raison dit l'autre, ils font des hamburgers ici ?

De quoi ? Tonna Arnaud, décidément tu connais rien à la France faut tout t'apprendre !
On va commander une belle assiette de charcuterie, mon grand-père faisait une excellente rosette dans le temps à Autun, je m'y connais !

Si tu t'y connais autant qu'en pinard, je te fais confiance, lui dit Maurice.

Tu peux ! Je m'y connais encore mieux en rosette qu'en pinard dit Arnaud.

La charcuterie était excellente et le vin tellement bon qu'ils commandèrent une autre bouteille.

Tiens toi bien Maurice, dit Arnaud, il fait aussi du Volnay le Devevey on va en prendre une.

A ta guise mon cher Arnaud répondit  Maurice avec emphase. Il faut dire que les oreilles commençaient à lui chauffer.

La bouteille de Volnay eut l'heur de plaire particulièrement à Maurice qui en but les trois quarts. Arnaud en bon bourguignon savait s'y prendre...

Au fil des verres, notre Américain ayant du mal à articuler plus avant ses arguments, Arnaud en grande forme pris la parole et déclara, théâtral :

Tu vois Maurice, on vient de passer deux heures à bavarder et à picoler toi et moi ! Et bien tu sais quoi, Maurice, on a participé au redressement de la France !

L'autre le regarda ahuri...

Réfléchis Maurice, les vins qu'on a bu là tranquille en causant mon gars, il a bien fallu un serveur pour nous les apporter à table et c'est pas le seul à travailler ici. Et le vin, il a bien fallu quelqu'un pour le faire Maurice et je vais te dire : le bon vin c'est pas simple à faire !

C'est comme la bonne charcuterie, derrière un verre de vin ou derrière une rosette, t'imagines pas le nombre de gens qui bossent Maurice et même qu'ils usent des pneus de tracteurs les vignerons et les éleveurs, rends-toi compte !

Tous ces gens qui travaillent, viticulteurs, tonneliers, verriers, bouchonniers, imprimeurs, vendeurs, livreurs, assureurs et même banquiers, la liste est infinie Maurice, plus il y de gens qui boivent du rouge et qui mangent de la charcuterie, plus il y de gens qui bossent en France et qui eux aussi boivent du rouge et ça n’en finit jamais, c'est le grand mouvement perpétuel de la vie ça Maurice et en plus c'est du plaisir, c’est du bonheur !

Là, nous deux Maurice, poursuivit l'Arnaud, pendant deux heures on a fait bosser des milliers de gens !

Alors tu sais quoi Maurice ?

On en reboit un, le Devevey il fait un Beaune 1er cru les Pertuisots du feu de dieu, je te l'offre, tu vas voir avec des œufs en meurette c'est de la balle !

Il avait jamais mangé des oeufs en meurette le Maurice, jamais bu du si bon vin, il savait même pas que ça existait, le Maurice !
Et bien il est reparti le lendemain secoué, tout tourneboulé, étonné de ne pas avoir la gueule de bois (il avait bu et mangé que du bon), tous ses clichés sur les français fracassés  et ses certitudes dévastées.

On ne l’a jamais revu. Aux dernières nouvelles il errait dans Manhattan habillé en culotte de velours avec un béret sur la tête en chantant en boucle un ban bourguignon que lui avait appris l'Arnaud...

Merci Arnaud et à la tienne !

vendredi 8 février 2013

De quels vins on s’abreuve, de quels mots on se saoule ?


 

Tempête dans une sapine, les cerveaux aujourd’hui s’agitent sur la toile aussi virtuelle que les propos sont superficiels.

 Le vin convenable est-il le vin bio, le vin nature ou le reste ?

On ne sait plus à quel vigneron se vouer ! 

Il est assez probable que le meilleur vin soit celui qui nous fait plaisir, car il est bien loin le temps ou l’on buvait de la piquette pour se garder des dangers de l’eau d’alors, qui était sans doute bien plus dangereuse que le pire vin d’aujourd’hui !

Loin aussi le temps ou l’on buvait des litres et des litres de vin pour tenir le coup au boulot ou pour tenir le coup tout court. 

Alors c’est quoi ce débat ? il y aurait des vins bons, des moins bons, des mauvais?
Merde alors et on ne nous dit rien !

Il aurait des vins sains (natures) et des malsains (les autres) ?
Non, déconnez pas les mecs !

Le vin finalement c’est un peu comme le sexe et tout le reste, c’est ceux qui en parlent le plus…

Chez nos chers prescripteurs, c’est comme partout y’a du bon et du moins bons, des « goûteux » et des « buveux ».

Moi vigneron, j’en bave des ronds de chapeau pour arriver à faire du vin buvable qui donne un peu de plaisir aux braves gens qui m’en achètent. Il y en a parmi eux qui me disent qu’il est bon, d’autres disent même excellent, ça me fait du bien mais ça résout rien.
Cela ne m’empêche pas chaque début d’année de me demander si elle se passera bien; je veux dire si je réussirai à payer les banquiers, les fournisseurs et à avoir encore de quoi nourrir ma famille.
Cela ne m’empêche pas comme tous mes collègues vignerons, le printemps venu, de serrer des fesses en espérant qu’il ne gèlera pas. Et quand ça passe, j’espère qu’il ne pleuvra pas trop, qu’il ne fera pas trop froid, ni trop chaud et que je ne serai pas obligé de traiter tous les quatre matins, j’espère aussi qu’il ne grêlera pas et qu’août (qui fait le moût) sera beau et que ça durera jusqu’aux vendanges.
Après j’espère que mon vin sera pas bouchonné et puis pour compléter que mes clients me paieront et pas en retard si possible !

Voyez un peu messieurs les « goûteux », les basses considérations que j’ai dans mon métier.

Dites-moi donc ce que vous buvez, si vous n’êtes pas -que- des « goûteux »?
Parce que je vous vois bien goûter à tour de papilles et puis juger, noter, classer, faire et défaire, dire du bien d’un vin du mal d’un autre, encenser un vigneron, baver sur un autre , c’est quoi cette mode ridicule de vouloir tout déguster ? Maintenant, au restaurant on vous apporte votre assiette et on vous dit : « bonne dégustation » alors que vous êtes venu pour manger !   ben ça va ou bien ?

Faudrait arrêter de penser que vous êtes au centre du monde du vin les « goûteux » et que vous avez une science infuse qui n’existe pas. Si vous aviez un peu d’honnêteté et d’amour propre, en imaginant que vous soyez fondés à juger le travail des vignerons, vous ne commenteriez que vous propres sensations après avoir bu un vin… à l’apéro, ou mieux en mangeant à table comme il se doit. Parce qu’un vin ne représente pas qu’un vin mais un lieu, un instant, presque un état !

La dégustation c’est un outil technique de fabrication du vin, c’est un outil technique pour choisir ce que l’on veut acheter et encore ce deuxième point se discute. Faudrait arrêter de confondre les moyens et la fin.

Le meilleur vin ça n’existe pas, c’est celui qui nous rend heureux à un moment donné parce qu’on est bien là où on le boit et avec qui on boit.

Un aligoté avec de bons amis sera toujours plus joyeux qu’un Montrachet partagé à regret avec de mauvais compagnons.
 
Il m’est avis que si vous buviez un peu ou un peu plus, vous découvririez les fabuleuses vertus du vin.
Car, quant à écrire sur les vins, ce n’est pas qu’une occupation, c’est sérieux mais il faut en être capable, oserais-je dire en être digne ?

Les auteurs qui en pinçaient pour la chopine, les « buveux », ont de tous temps écrits de fort belles choses et puisque vous prétendez juger notre travail, je prétends vous dire que leur lumière montait du fond du verre pour éclairer leurs esprits et que c’était d’un autre tonneau !

Je ne vois rien dans vos écrits polémiques qui présente luminosité et grandeur ou qui révèle un tant soit peu de talent. En croyant parler du vin, c’est souvent de vous-même que vous parlez, traitant le vin comme un faire-valoir, vous le galvaudez dans des crachoirs.  

Sans talent et même avec, il nous reste le labeur, c’est notre lot à tous, vignerons, écrivains également et autres  aussi. Sans talent ni travail, les « goûteux » ne sont finalement que des gribouilleurs.

La nature a créé l’eau et l’homme le vin et l’écriture…

Et l’homme n’est pas parfait chacun le sait bien.