mercredi 24 juillet 2013

Lettre ouverte au patron de la RVF.


Monsieur Saverot,


Il est revenu à mes oreilles par radio-bout-de-vigne (c’est ainsi que nous appelons chez nous la fréquence « potins des vignobles ») que vous aviez publié les termes de mon courroux occasionné par votre dossier sur la Côte Chalonnaise ( RVF n° 570, avril 2013) dans votre dernier numéro (570 spécial millésime 2012).

Si je n’ai pas réagi plus tôt, c’est que je fus accaparé par quelques tâches au vignoble dont la nature parfois généreuse ne nous laisse pas toujours le libre arbitre, veuillez m’en excuser. 

Toutefois, permettez que je m’étonne que vous eussiez choisi la rubrique courrier des lecteurs pour publier  de manière partielle ma missive électronique.

Si je fus agréablement surpris que vous prîtes le temps de m’appeler personnellement au téléphone après réception de la susdite, vous me voyez bien désagréablement surpris de cette publication et de la réponse que vous portez perfidement à la connaissances de vos nombreux lecteurs passionnés qui comptent parmi eux de nombreux professionnels souvent perplexes mais néanmoins assidus ! (70 000 viticulteurs, plus les négociants, les œnologues, le courtiers, et autre professionnels cavistes, restaurateurs, etc…, ça laisse peu de place  aux amateurs dont vous prétendez qu'ils sont 45 000 à vous lire et qui soit dit en passant, s’ils sont par vous dupés, seront comme il va de soit les derniers à l’apprendre). 
Et puis puisque vous voulez jouer à celui qui pisse le plus loin, même si j'ai toujours trouvé ce jeu ridicule, je produis en moyenne 45 000 bouteilles par an et sauf à penser que chacune d'elles est bue par une seule personne, j'ai beaucoup plus de succès que vous et d'ailleurs sans vous et de plus dans une quinzaine de pays.

Et puisque vous avez choisi de me répondre sur votre terrain privilégié, je vous renvoie aujourd'hui la balle depuis le mien qui ne compte pas d'abonné mais quelques lecteurs que je salue et remercie au passage.

Votre démarche sous-entend que je sois moi-même lecteur de la RVF, ce qui ne m’arrive qu’à l’occasion d’un rendez-vous chez mon coiffeur et d’aucuns vous diront que j’ai couramment le poil hirsute et ne fréquente guère ce vénérable artisan !

De plus, lors de notre longue conversation téléphonique qui amputa mon précieux temps de presqu’une heure, nous étions convenus au final que nos opinions demeuraient divergentes, mais que l’échange avait été courtois. J'avais cru bon de vous préciser que je ne cherchais pas par mon courriel à créer une quelconque polémique stérile comme il en existe beaucoup ces temps-ci et particulièrement sur les réseaux sociaux. Non, je m’adressais simplement au patron de la revue pour lui signaler ce que je considère comme une aberration : à savoir qu’un dégustateur qui par ailleurs vend différents produits à des vignerons qu’il évalue me semblait relever d’un conflit d’intérêts que la morale, sinon la loi, réprouve.

Il me semblait de fait évident que notre échange devait rester discret et qu’il n’était pas nécessaire      – pour vous comme pour moi - d’en faire état !

Or vous avez choisi de porter ce débat sur la place publique, sans mon consentement et comble de muflerie, sans m’en informer.

Pour compléter votre publication, permettez que je porte à la connaissance du lecteur l’intégralité de mon propos :

Cher Monsieur,
Je viens de prendre connaissance de votre dossier spécial côte chalonnaise dans votre dernier numéro de la revue du vin de France, la lecture a suscité chez moi quelques interrogations.

Je me suis donc rapproché du BIVB afin de connaitre le déroulement des dégustations qui nourrissent ce genre de dossier.

Quelle ne fût pas ma surprise de m’entendre expliquer que le dégustateur agissait seul, sans la présence d’un professionnel vigneron ou d’un représentant des ODG concernées, voire d’un huissier.

Quel ne fût pas mon étonnement de me voir confirmer que les notes attribuées par votre dégustateur étaient ajustées en fonction des niveaux des appellations ? Comme vous l’avez par ailleurs vous-même justifié dans la RVF, cela suppose que tout est possible, y compris de renvoyer la balle aux annonceurs qui comme par hasard sont toujours bien notés !

Quel ne fût pas mon courroux de m’entendre confirmer que votre dégustateur, dont je ne remets pas en cause les compétences, est par ailleurs un commerçant ayant des relations mercantiles avec les vignerons dont il déguste les vins.

Ceci corrobore amplement le fait que ses clients et ses copains soient bien notés et que ceux ayant eu avec lui quelques problèmes relationnels soient absents de la sélection.

Je n’avais pas une grande confiance dans votre journal que je connais depuis trente ans et que j’ai vu évoluer. Aujourd’hui, au vu des conflits d’intérêts que révèle le fonctionnement des dégustations et de la publication des résultats, j’ai à l’égard de votre travail une sensation de nausée irrépressible.

Il me semble qu’il serait temps de réagir et de recadrer tout cela avant que vous ne perdiez le peu de crédibilité qu’il vous reste aux yeux des acteurs de la filière viticole, car pour avoir largement évoqué cette affaire avec des collègues de toutes régions et des prescripteurs de tous ordres, je puis vous dire que mes sensations sont largement partagées, ce que je regrette sincèrement pour les consommateurs, amateurs de vins de notre pays et lecteurs bernés par la revue, surtout s’agissant des novices !

Dans l’attente de recevoir vos impressions sur ces consternantes  pratiques,

 Veuillez agréer cher Monsieur, l’expression de mes sincères salutations
                                                          

Ceci précisé, il apparaît que vous avez bien évité de publier l’essentiel de mon propos et qui concerne le conflit d’intérêts.

Votre titre lui-même un peu grandiloquent  évoquant en caractère gras «  la théorie du complot » prête à sourire. Comparer notre petite escarbouille à des affaires internationales !! ho là là, Monsieur Savrot, vous me flattez !

Evoquer une police,  un anonymat… enfin nous ne sommes plus sous Vichy Monsieur le Procureur !

Vous en appelez à l’histoire et aux personnalités qui collaborent ou ont collaboré à la RVF en citant des professionnels émérites et reconnus de tous, que vous qualifiez de réputés et d’intègres… je ne les conteste pas ces personnages historiques du « mondovino », mais Mr Baroin…tout de même, veuillez ne pas mélanger torchons et serviettes !

Un camelot de campagne, qui gonfle son égo en bavouillant quelques propos iniques sur notre travail… c’est remarquable, comme dirait le « taulier » on se gondole grave dans les contours de vignes en se narrant ces derniers jets de plume ;

Jugez plutôt à propos d’un Rully : « fraîcheur complète et salivante qui rappelle un Puligny »

 Quel talent ! Quel à propos pour celui qui se prétend défenseur du terroir !

Ainsi les terroirs de la Côte Chalonnaise n’auraient de valeur et d’intérêt que dès lors qu’ils seraient semblables à leurs voisins-stars des côtes de Beaune ou de Nuits… affligeant !

 Remarquez qu’écrire des pages entières de commentaires sur des vins que personne ne lit sauf les producteurs eux mêmes, ça relève de l’exploit ! En tout cas je n’ai jamais trouvé rien de plus emmerdant à lire, à part peut-être un discours du maire de ma commune.

Ce cher Guillaume, qui s’apitoie sur son sort en prétendant regoûter les vins qui ne lui ont pas plu au premier abord pour ne pas léser les producteurs, peu lui importe de massacrer des cuvées entières en vendant des bouchons foireux et qui détruisent une année entière de travail puis de n’assumer aucune des conséquences désastreuses de ces méfaits ! 

En revanche il lui importe de bien noter quelques vignerons très sollicités pour pouvoir ensuite vendre leurs vins en se targuant d’être parmi leurs allocataires privilégiés ! 

Monsieur Saverot, outre que la publication de votre réponse partielle à mon courrier amputé est malhonnête, vos arguments sont affligeants de maladresse et de fausseté. 

Vous pensiez à votre profit détourner mon propos mais vous vous êtes vautré dans votre colère et votre condescendance.

Rassurez-vous, je ne suis qu’un petit vigneron-trublion, mais votre réaction même, par sa violence et ses à-peu-près, prouve que j’ai mis le doigt là où ça fait mal à votre mauvaise foi !

Et si j’en juge par les remarques et coups de fils que j’ai reçus depuis votre publication, mon avis est assez largement partagé ; Il est même des vignerons qui m’ont qualifié de courageux, d’autres plus triviaux de « couillu » !!! y aurait-il quelques risques à dire ce que l’on pense, ce que l’on croit être la vérité ? Auriez-vous quelque pouvoir de nuisance à l’égard du vigneron que je suis ? Quel est le réel pouvoir de cette ancienne institution de Revue sur le vin, vieillissante et que vous êtes en train de fusiller ?

Serai-je à jamais banni de vos colonnes ?

Recevez cette confidence, la seule fois où j’eu les honneurs de votre revue, ce fût grâce au parrainage de mon mentor dont je ne citerai pas le nom pour ne pas lui faire de mauvaise publicité mais qui est un célèbre vigneron de Meursault et mon néanmoins ami.

Soyez en tout cas certain que je n’ai pas contre la presse en général et du vin en particulier, quelque grief que ce soit. Le plus beau compliment que l’on me fit en 20 ans de carrière, vint de votre auguste confrère : « Bourgogne Aujourd’hui » qui écrivit à mon endroit : « Jean Yves Devevey produit depuis plusieurs années des vins qui font honneur à la Bourgogne »

Voyez Monsieur Saverot, de cela et donc de mon travail je suis très fier. Rien ne peut m’honorer plus que d’être digne de  LA BOURGOGNE, même si je ris souvent des imbéciles heureux qui sont nés quelque part car je pratique assez couramment l’autodérision.

Je ne vous souhaite qu’une seule chose Monsieur Saverot : d’être vous-même fier de votre travail…





Une journée d’été presque comme les autres.


Mardi 23 juillet 2013, levé tôt après une courte nuit. Météo France annonçait des orages possiblement violents localement. La veille j’avais terminé le rognage des vignes de la Chaume à Rully un peu avant vingt deux heures, il faisait presque nuit. C’est important de ne pas laisser sous la pluie, les jeunes pousses plus sensibles que les autres au mildiou déjà présent ici et là sur les plus vieilles feuilles après le printemps pourri que nous avons connu.

 Tasse de thé vert avalée en vitesse et préparation du pulvérisateur. Vers huit heures, départ pour Rully et la côte Chalonnaise à nouveau, après que la rosée du matin fût tombée. Les vignes sont belles, quelques taches de mildiou ça et là, il va falloir être vigilant jusqu’en septembre, les vendanges s’annoncent tardives. Elles n’ont pas produit beaucoup en 2012 suite à la grêle de 2011 mais cette année, même si le froid du printemps a éclairci les raisins il y a une récolte moyenne si ça tient jusqu’au bout.

Retour dans « l’entrecôte » vers dix heures trente. J’aurais dû alors enchaîner les autres parcelles mais quelques imprévus m’attardèrent au bureau et à la cave. Tant pis je terminerai en début d’après-midi même si un traitement en pleine chaleur n’est pas idéal, on ne maîtrise pas tout.

Repas rapide et vers treize heure, départ pour l’autre côte... celle de Beaune. Traitement à Volnay sans problème, les vignes sont belles, les raisins assez petits et clairs mais en nombre suffisant pour une belle récolte. Après les deux orages de grêle de 2012 et une récolte record (quatre pièces dans un peu moins d’un hectare), on vendangera tard mais si ça va jusqu’au bout et que septembre est beau, ça ira.

 Passage à Beaune, cette vigne des Pertuisots 1er crus, c’est mon bonheur de vigneron, elle est toujours belle et en santé, le sol se cultive bien il est équilibré après quatorze années de travail, d’attention, de soins en tous genre. La partie du bas, la plus vieille, sélection massale, est magnifique. Beau feuillage, raisins bien formés et réguliers, un peu de millerandage mais pas trop, tout ce que l’on attend de sa vigne. La partie du haut, clones sur SO4 est un peu moins vigoureuse mais se porte bien.
La terre est superbe de souplesse et de richesse après des années de labours d’enfouissement de l’herbe pour la structurer et la nourrir.
Malgré la grêle en 2012, la récolte avait été convenable  6 pièces pour un peu plus d’un demi hectare, d’habitude elle en produit huit voire neuf, c’est une très belle vigne, lorsque j’aurai mon cheval, j’essaierai de la cultiver avec lui. Pour cette année si ça va jusqu’au bout ce sera une belle récolte, mais on ne la tient pas encore.

14h 30 départ de Beaune direction Nantoux, ici aussi les vignes sont belles bien que très peu chargées en raisins suite à la grêle dévastatrice de l’année dernière. Là aussi les records avaient été battus, 7 pièces de vins dans trois hectares de vigne !
Mais cette année c’est beau et il ne faut pas traîner car les cumulus montent au nord sur la vallée de l’Ouche et il faut traiter avant la pluie. Quelques rafales de vent de Nord-Est secouent les arbres et les haies alentours, rien de plus.

 15 h 45, je termine sous les roulements non pas du tambour mais du tonnerre. Je charge le tracteur sous deux ou trois gouttes, le nuage noir qui tourne depuis une heure est planté vers Savigny, vers Beaune, de l’autre côté des collines. Par précaution je mets le sac de bouillie de cuivre –sac en papier- dans la cabine du Land Rover.

Je redescends vers le village, face à moi la montagne de Volnay s’est embuée de nuées grises et blanches. A l’est le gros nuage crève et déverse son contenu sinistre sur Beaune. Devant la mairie quelques coups secs et violents me surprennent. Deux ou trois gros grêlons s’éclatent littéralement sur le bitume brûlant.

A la carrière de Nantoux, il pleut de grosses gouttes, en arrivant vers Pommard c’est l’enfer, des grêlons, entre billes et balles ping-pong s’éclatent sur tout ce qu’ils trouvent, frappent, hachent, massacrent. Je m’arrête sous un noyer pour ménager la tôle du Land Rover et attend en espérant que Beaune et Volnay tout proches soient épargnés. Des noix cueillies par les glaçons viennent rouler sur le capot du Land. Dans mon dos, le ciel de Nantoux reste clair.

Au bout de dix minutes de coups incessants - une éternité - la boue a envahi la route mais les grêlons sont plus petits et moins nombreux, je repars.

A ma gauche le talus des Harvelets a glissé sur la route, au-dessus les vignes sont hachées et battues par le vent et la pluie. Plus loin au pied du mur de la Commaraine un amas de grêlons de quarante centimètres de large et  d’une dizaine d’épaisseur tient au frais les herbes hachées.
Je pense à Benjamin et au Clos des Epeneaux un peu plus loin qui n’a pas pu être épargné.

Je descends vers l’ancienne gare de Pommard, les voitures sont à l’arrêt, la route est un torrent  de boue qui descend du coteau par tous les chemins, le chemin de la combe de Lulunne ressemble à un affluant boueux  de la départementale, je sens rouler les cailloux sous les pneus du Land qui avance imperturbable, traînant sa remorque chargée de l’emjambeur qui n’aura pas besoin de passer par l’aire de lavage.

Les grêlons continuent à frapper tantôt plus clairsemés, tantôt plus serrés mais toujours avec une violence douloureuse aux oreilles. Je perds l'espoir que les Pertuisots aient été épargnés.
A la pointe des Tuvilains, l’eau boueuse  semble transporter toute la terre du coteau, le chemin des vignes Franches est une rivière en furie.

                                                                          
Le Clos Landry est en guenilles, j’arrive aux Pertuisots, pas de quartier, c’est la désolation.

Demi-tour, direction Volnay avec l’espoir que la grêle n’aura pas dépassé Pommard.
Je croise David. Sous l’averse, vitre des voitures entre-baissées : c’est massacré lui dis-je.
Mines déconfites : à plus tard.

Entre Pommard et Volnay les torrents de boue affluent de partout, la route qui descend vers la 74 est une rivière en crue, les bouches d’égouts crachent des gerbes d’eau marron à un mètre de hauteur, le vent souffle en bourrasques cinglantes, la pluie semble tomber presqu’à l’horizontale, la buée a envahi les vitres du Land, j’aperçois la vigne de la Gigotte, suffisamment pour penser que là aussi la récolte est en partie faite.
Je pense aux copains dont le vignoble se répartit de Volnay à Savigny ou sur l’une ou l’autre de ces seules communes. J’aurai peut-être la chance de voir Rully et Nantoux épargnés, peut-être ( ?)

Retour à Demigny, le village est sous les eaux mais il n’y a pas eu de grêle ici, j’allais dire malheureusement, j’eu préféré perdre mon petit jardin et garder les raisins de la Côte. Je regarde tomber la pluie et le pluviomètre déborder; je cherche un réconfort au frigidaire, il fait lourd, j'ai soif ! 
                                                                               
Vers 19h00 retour dans le vignoble, après un coup de fil rassurant de Stéphane, je sais que Rully n’a pas été touché.
A Volnay le vent a anéanti le travail des employées qui avaient passé des heures au palissage, il faudra reprendre les pieds et ce qui reste de leurs branches une à une, les raisins sont presque tous touchés j’estime à 50% le volume de récolte perdue.
Un crochet par Nantoux, rassurant, il n’est tombé que quelques millimètres d’eau et pas de grêle.

En redescendant vers Pommard j’observe le balai des camionnettes des vignerons qui font l’inventaire sinistre des dégâts. Les visages sont fermés, les saluts bien las. Les regards pleins de désespoir.

Je retrouve David dans les Pertuisots, nous visitons nos vignes respectives, désolés mais fatalistes, c’est notre destin de vigneron, la nature nous contraint, qui que nous soyons quoi que nous fassions. 70 à 80% de perte selon moi, David est un peu plus optimiste.
                                                                             


Nous gardons notre humour même s’il est un peu moins gaillard et descendons au Café du Square pour un verre de réconfort. Bière ? vin ? Bière pour commencer, il faut être économe…

Dom arrive, dégaine estivale, Champagne dit-il. J’aime son humour.

Demain il faudra remettre l’ouvrage sur le métier et continuer. Météo France nous a mis en vigilance orange, si ça doit recommencer, que tombe où ça veut mais pas à Rully ni à Nantoux si ce n’est pas trop demander. Je me dis qu’au moins il y aura peut-être là une récolte, si ça va jusqu’au bout !