mardi 12 novembre 2013


Saint Martin – Saint Tourmentin.
 


Il faisait frisquet ce matin au monument aux morts où nous étions de moins en moins nombreux à écouter l’édile ânonner le discours du Secrétaire d’Etat aux anciens combattants.

Plus d’anciens combattants de la grande guerre depuis longtemps, quelques anciens ayant connu la dernière et peut-être la résistance et quelques anciens de la guerre d’Algérie qui a toujours du mal à dire son nom.
Enfin ce matin il y avait quand même un regain d’intérêt pour certains, les municipales approchent…

Mais il faisait beau, très beau même, l’été de la Saint Martin !

Les pigeons blottis au soleil sur le clocher nous ont proposé un ballet aérien dans l'azur éclatant, motivés qu’ils furent par les « boum boum » de la grosse caisse de  la fanfare. Ils quittèrent leur perchoir le temps des marches militaires, pour y revenir au moment du vin d'honneur une fois les tambours posés.
Vraiment une belle journée et pourtant la Saint Martin, au nom volé dans le calendrier par l’armistice, c’est aussi la saint Tourmentin comme disait mon père.

 Aujourd’hui moins qu’hier certes, mais c’est toujours le temps du paiement des fermages et des tourments. C’est l’heure de régler les comptes et de faire le bilan de campagne, non guerrière, mais viticole.
Autrefois à la Saint Martin, on payait tout ce qui était dû depuis une année, les fermages, les travaux du maréchal ferrant, du charretier et j’en passe.

Aujourd’hui, ne reste "que" les fermages à payer au 11 novembre pour les vignerons dont je suis et qui ne sont pas propriétaires. Et après deux années de récoltes misérables ce sera bien la Saint Tourmentin. Il y aura certes quelques propriétaires aimables et qui ne sont pas dans le besoin pour faire un effort sur les délais de paiement, sur le montant même, c'est très rare mais ça existe !

Quoi qu'il en soit il faudra trouver l'argent pour payer.

Deux années de misère disais-je, avec un printemps frais et humide, un été qui ne peut plus rien faire pour rattraper ce qui est perdu et puis enfin,  un automne humide comme l'aiment les champignons.
Le mois de mai ne nous a pas donné les raisins que nous espérions, ils étaient petits. Même si nous nous y attendions puisqu'ils étaient nés dans les bourgeons au printemps 2012 qui ne fût pas beau ni chaud, le froid excessif de juin les a de plus fait filer* en grand nombre. Enfin la pluie vint s'ajouter au froid au moment de la fleur et la pollinisation se faisant mal, la coulure** vint encore entamer le potentiel de récolte.

Au vu de ce printemps 2013, il y a de très fortes chances pour que les raisins de 2014 cachés au cœur des bourgeons formés en juin dernier ne soient pas non plus très gros ni très nombreux.

J'ai souvenir aujourd'hui d'un éditorial fort maladroit dans Bourgogne Aujourd'hui, pointant du doigt le peu de volonté des vignerons de Bourgogne à ébourgeonner sévèrement au printemps 2013. Qu'aurions-nous récolté si nous avions bêtement agit de la sorte ?
La taille, l'ébourgeonnage, nous connaissons, c'est le cœur de notre métier, il me serait agréable de ne pas recevoir de leçon des journalistes quand je ne leur donne pas de leçon de rhétorique  ni d'écriture.

 Parenthèse fermée, l'été ne fût pas particulièrement clément, nous apportant son lot d'orages dévastateurs, mitraillant de grêle les vignes faiblement garnies de fruits.une journée d'été...
 
Septembre dans ses premiers jours, nous apporta quelques réconforts et sauva probablement un millésime bien mal engagé.
C'est souvent comme cela lorsque printemps et été font défaut, septembre joue les Saint Barnabé.

Puis revint la pluie et quelles qu'aient été les dates retenues par les vignerons, les vendanges ne furent pas une vraie partie de plaisir.
Chacun en conscience ayant fait son choix de vendanger tôt ou d'attendre. Chacun ayant choisi selon les connaissances qu'il a de son vignoble, de son travail, avec ce savoir faire qui lui est propre.

Au final la catastrophe fût évitée une fois encore, l'intelligence et le travail ayant lutté de concert contre les hostilités venues d'on ne sait où.

Dieu soit loué comme le poulet, nous aurons de quoi répondre en partie au marché !
-Peu de vin, mais plutôt de qualité en attendant mieux -
Après les trente  glorieuses passées nous sommes sans doute dans un cycle moins favorable à la spirale formidablement qualitative que nous avons jusqu'ici vécue.


 
Ce soir, la bise souffle encore plus tranchante que ce matin et moins que demain à moins qu'elle ne tienne pas. Le feu crépite dans le poêle à bois, la nature s’engourdi. En fin de semaine la vente des Hospices de Beaune attirera les feux des médias, foules et verres réchaufferont les cœurs, puis le Beaujolais nouveau annoncera l’hiver  prochain et nous irons aux vignes tailler à nouveau chaque pied en espérant, comme nous l’avions fait l’an dernier, que la nature se montrera plus généreuse en 2014.

 
Demigny, le 11 novembre 2013.

 
* Filer se dit des raisins qui au lieu de se former en inflorescence se transforment en vrille.

**Coulure = mauvaise fécondation des fleurs de vigne qui donnent des grains de petite taille (millerandage) ou qui tombent au sol dès la fin de la floraison.