jeudi 12 mai 2016

Printemps 2016.

Mercredi 27 avril 2016,  depuis quelques jours les craintes ne cessaient de croître comme quand au loin gronde l'orage et que l'on sent dans ses tripes de paysan que quelque chose de mauvais est en marche, que l'issue ne fait guère de doute.
Au point du jour, les vignes et les toits des maisons sont blancs d'une mince couche de givre que le soleil levant lèche et fait fondre. Le pire des scénarios est en cours, les vignes n'aiment pas ce phénomène de la nature, cette énième facétie, ce jeu cruel sur la Bourgogne en plein réveil.

Hélas  il faut déjà se faire à l'idée que la journée ne sera pas joyeuse, inutile de presser le pas, si dégâts il y a, ils ne seront visibles qu'en milieu de journée, voire en fin d'après midi après que le soleil aura fini de sécher les bourgeons cuits, ratatinés et teintés de gris et de noir, calcinés !


Chemin faisant on rencontre les voisins, les collègues, les amis et on prend le temps de se parler, de partager nos désillusions, notre peine qui est grande, nos inquiétudes.
A la fin de la journée, le bilan est lourd, la nature n'y est pas allée de main morte et une fois de plus elle met en péril des familles déjà fragilisées par les années de grêle et de printemps capricieux.

La vigne a piètre allure, toute grillée, privée de ses tendres pousses comme autant d'enfants mort-nés, elle semble avoir fait un retour en hiver. Dans les Hautes Côtes de Beaune, sur ce merveilleux terroir des Champs Perdrix, Il ne reste plus un seul bourgeon vivant. Même ceux cachés à l'ombre du cep ou d'un piquet  sont  pétrifiés, déshydratés, morts.
Le gel a frappé là où on ne l'avait que rarement ou même jamais vu. Les bas de coteaux et les creux, logiquement exposés au gel de printemps s'en sortent plutôt bien. Les hauts de coteaux  et les coteaux eux-mêmes, habituellement peu exposés au gel, sont parfois dévastés à cent pour cent.
Plus généralement il n'y a presque pas eu de quartier, vignes enherbées ou labourées ont subi le même sort.
Ultime injustice,  ici et là quelques vignes désherbées chimiquement, jamais labourées semblent avoir moins souffert  et offrent  avec insolence à nos regards incrédules leurs rangs teintés de vert.

Mais déjà la plante mère se rebelle, les plaies de taille cicatrisées s'ouvrent à nouveau et laissent échapper la sève comme des larmes coulant de nos propres yeux. Comme par solidarité, cette plante qui nous nourrit qui  nous accompagne au long des jours de toute notre vie de vigneron, cette plante merveilleuse de résistance, de générosité et de résilience, nous montre le chemin à poursuivre. Se tenir debout, marcher encore même en boitant des deux pieds, en espérant que dès demain viendront  des jours meilleurs.

Devant un verre de vin, seul, je me remémore les propos des anciens, de mes ancêtres paysans, les histoires innombrables des grands-pères répétant à l'envi les récoltes perdues, les larmes des grands-mères  et les histoires de leurs propres aïeux, de tant et tant de travail anéanti en quelques instants.
De tout temps les paysans ont subi les assauts de la nature autant qu'ils en ont vécu. De tout temps les catastrophes et les pertes de récolte ont durci leurs vies.
Puis les histoires plus joyeuses de lendemains qui chantent, les millésimes abondants suivant les années de gel !

Nous allons poursuivre, à l'image de nos vignes, à l'image de nos ceps tordus par le temps et les assauts des sécateurs mais qui ne demandent qu'une chose: que l'on s'occupe d'eux quoi qu'il arrive et que l'on fasse du vin et du bon. Il nous faut tenir… tenir bon !